samedi 16 avril 2016

Le homard


Un jour tout en obliques, où les lettres pivoines et les phrases artichauts, cœurs enfouis sous les feuilles baveuses, s'avachissaient d'ennui et de tristesse, j'eus l'idée d'inventer la vie, la terre, les femmes et puis les hommes. Mais je ne sais aujourd'hui encore, pas pourquoi je créais le homard.

Un jour, certainement, dans cette chambre close, pour conjurer les ombres, m'amuser dans la ronde où tout m'échappe et fuit, j'inventerai la mort. Par souci d'esthétique, l'élégance du geste, fût-il vain ou futile. Mais ce sera certainement par esprit de vengeance ou hélas, par dépit que je créerai les tiques, les outrages, les grincements de dents.
Bien sûr, je ne sais pas pourquoi j'ai laissé aux hasards les chevelures blondes, les princesses moribondes dans leur robe qui brille guettant dans leur donjon le retour imminent du père fouettard, quand elles croient attendre l'évanescent éphèbe qui pleurniche au portail.
Un jour, c'est le destin qui en est seul la cause. Le lendemain, l'ivresse, le besoin de câlins ou le feu qui s'éteint, le pollen qui s'envole, la forme des nuages, la carapace rose du homard sommeillant (pourquoi donc l'ai-je créé ?).

A toutes fins utiles, j'ai inventé les rêves puis fait semblant de croire qu'ils cessaient au matin. J'ai, évidemment aussi créé l'Histoire - ou bien l'histoire ? - en tout cas celle des absences transformés en récits. La mémoire qui sert à oublier. Depuis j'ai peur des grains de sable qui roulent et puis qui grippent et leur humour grinçant.
Au fait, comment donc ai-je pu faire pour créer le hasard ?

Là-haut sur la corniche une araignée file, vacille. Plus loin des flots de sang imbibent les déserts pour les rendre fertiles quand les vents malicieusement s'échinent à recouvrir les traces d'un ailleurs souverain.


Seul, sur ma chaise à bascule je fixe la ligne versatile, pendule horizontal. Et un, et deux... la chaise. Et trois, et quatre... la glaise. Et quatre et cinq la faim la soif... Et six.. et sept, s'égrènent... et huit... bascule, s'allonge infini. Il se gondole. Reptation, antre rouge, battements. Neuf... s'invente se réinvente la naissance, instant ! Aucune oblique. S'invite le homard...

dimanche 10 avril 2016

Dimanche

La fenêtre est fermée. La théière blanche se tait. Dehors, la lumière fredonne tout bas un air de printemps égaré que tout le monde ignore, dont tout le monde se fout. Les corolles s'affaissent, les roses entonnent leur sempiternelle rengaine de serments surannés ; j'aimerais oublier. Ou bien me rappeler.
La prairie en pente douce, jardin vu de l'orient, un ciel tout en nuances, un parapluie noir, pique-nique et audaces ; avril qui ne pouvait nier l'été.
Les salins en lignes franches, reflets, eau égaré, une chambre et janvier qui faisait tout son possible pour croire en un printemps. Mais le printemps tua l'été, août courageux agonisa silencieusement tandis que sur une autre planète, une nouvelle saison s'ébauchait. Nuances apaisantes, douceurs. L'automne reprend son souffle, prépare, rédempteur. Et ce fut février. Février... Février qui exulte, ravive les couleurs. Aussitôt effacées. Qu'importent les saisons, qu'importent les planètes, les mois et la douceur, les regards bleus, la fièvre, sourires et la chaleur. Au fond, les sentiers ne conduisent jamais qu'au bout du sentier !
La cloche de l'église scande toutes les heures, le vent souffle parfois, de l'ouest le plus souvent ; les oiseaux chantent, se taisent. Dans le ciel, le lune fait des manières. Son cycle influence les flots. Dans les postes, sur les écrans, les nouvelles succèdent aux nouvelles, déroulant l'illusion de vagues silhouettes flottant dans le néant, de vaguelettes immobiles d'un éternel présent, de passé mortifère, de futurs angoissants.
Au cœur, profond, se cache l'inconnu aux multiples facettes, tandis que sous mes yeux s'exhibent le sillon qui chaque jour approfondit sa trace, le rocher qui dévale, le gouffre tentateur. Dimanche ? Pas de quoi pavoiser.
La fenêtre se ferme. La théière se tait. Obstinée Dehors, la lumière s'entête à fredonner et les nuages pèsent. Hiver tout comme été.

Dimanche ! S'il venait un message, de quoi serait-il fait ?